Forge de Padern
Entre réussites et échecs de Pailhoux à Abram

La forge de Padern fut conçue par un homme qui entreprit d'exploiter nos mines dans une perspective industrielle au XVIIIème à la veille de la Révolution : Joseph Gaspard Pailhoux de Cascastel. Le docteur Paul Courrent, à la fin de sa carrière sur Tuchan, eut accès aux archives des Forges et des Mines de Padern détenues par le Docteur Chavanette de Tuchan, nouveau propriétaire de la forge. Il consigna l'histoire de cette forge dans un bulletin de la Société d'Etudes Scientifique de l'Aude de 1900, auquel se sont référés tous les commentateurs ultérieurs.
La carrière "minière" de Pailhoux débute en 1765, sur ses propres terres, par l'exploitation des mines de fer de Balansac à Villeneuve (Cascastel à l'époque). En 1779, Pailhoux décide de passer à l'étape supérieure en homme prévoyant : il demande la concession de la mine de houille de Ségure, son but : utiliser cette houille pour le traitement des minerais. Il reçoit au mois d'Août de la même année de l'Abbaye de Lagrasse, propriétaire des lieux, l'autorisation de construire au Grau de Padern, au lieu-dit l'Illiate, une forge et d'utiliser l'eau du Verdouble, moyennant une contrepartie financière annuelle. Apparemment sûr de son coup pour cet accord de l'Abbaye, il avait déjà signé un sous-seing privé en mars 1779 avec Jean Pierre François Duhamel, ingénieur du Roi, correspondant de l'Académie Royale des Sciences, et Louis-Charles Peltier, Négociant, pour la mise sur pied d'une société tripartite ayant comme objectif l'exploitation des filons de fer, cuivre, plomb et autres matières, sur ses terres et celles dont il va demander la concession. Autant Peltier est un inconnu, Duhamel (1730-1816) est un personnage scientifique dont on a conservé la mémoire. De commissaire du Roi pour les mines il deviendra, en 1781, Inspecteur Général des Mines et en 1783, professeur de métallurgie à la toute nouvelle Ecole des Mines de Paris. Il publie en 1787 une "Géométrie souterraine, élémentaire, théorique et pratique, où l'on traite des filons ou veines minérales, et de leurs dispositions dans le sein de la terre ".
C'est enfin le 4 avril 1780 que Pailhoux obtient, par délibération du Conseil d'Etat, l'autorisation officielle de construire "une ou plusieurs forges à fer ou acier, ainsi que fourneaux, martinets et magasins...".
Au 31 octobre 1780, Peltier se retire en cédant ses participations à ses deux associés, possédant ainsi maintenant chacun la moitié des parts.
A la même date, Duhamel vend à Luc Siméon Auguste Dagobert de Fontenille, écuyer, capitaine des Grenadiers au régiment Royal Italien, toutes ses parts dans la société avec avantages et bénéfices pour la somme de 110000 livres. Dagobert de Fontenille n'est autre que le cousin de Duhamel et il vient, probablement par l'entremise de Duhamel, d'épouser le 6 août 1780, Jacquette Claire Josèphe, la fille de Joseph Gaspard Pailhoux de Cascastel.
Probablement que Duhamel préparait sa future nomination d'Inspecteur Général au niveau National et voulut se retirer au profit de son cousin.
Fin 1780, la société de Pailhoux devient donc une affaire de famille. Le futur Général Dagobert fait alors construire une maison à Villerouge-Termenès, ornée de son blason, pour loger le responsable des mines.
Dagobert (1736-1794) est un personnage important de la Révolution française : nommé colonel en 1792, il dirige, comme Général de Brigade, l'armée des Pyrénées Orientales en 1793 et meurt à Puycerda le 18 avril 1794, après plusieurs victoires en Catalogne. Son nom est inscrit sur l'Arc de Triomphe à Paris.
Doté jusqu'alors d'une autorisation provisoire d'exploitation des filons, Pailhoux obtient enfin le 31 mars 1781, suite au Conseil d'Etat du Roi, la mise en concession pour une période de 30 ans des " mines de cuivre et plomb " qui se trouveraient sur ses terres (Cascastel, Villeneuve, Rouffia, Castelmaure et St Jean), ainsi que dans celles de "Davejean, Maisons, Montgaillard, Félines, Palairac, Corbières (?), Ségure, Tuchan, Quintillan, Albas et Villesèque".
Il est à noter que l'autorisation officielle porte sur les mines de cuivre et plomb et non les mines de fer. C'est pourtant bien une forge de traitement du fer que les deux associés familiaux font travailler à Padern et ils ne traiteront que peu de cuivre ou de plomb...
Contre toute attente, le 10 décembre 1782, Joseph Gaspard Pailhoux de Cascastel vend sa forge de Padern et la jouissance de ses mines de Balansac (et apparemment pas d'autres) à Dagobert de Fontenille pour le prix de 11000 livres. Cependant l'acte de vente stipule qu'à la mort General Dagobert, le tiers de la mine de Balansac reviendrait à Pailhoux ou sa famille.
La décision de vendre son activité "fer" vient-elle de sa rencontre, cette même année 1782, avec le chimiste Jean Antoine Chaptal de Montpellier ?
En effet, dès 1782, ils s'associent pour exploiter (presque) uniquement les mines d'antimoine de la région : Maisons, Quintillan et un peu Palairac. On fait grand cas en ces temps là de certaines vertus "médicales" de l'antimoine. Le développement d'applications industrielles de ce "métal" date probablement aussi du même moment (XVIII) : l'imprimerie ou les alliages antifriction, etc. Métal relativement rare à l'époque, les Corbières comptent cependant plusieurs mines de son sulfure (stibine). Ce sont peut-être toutes ces caractéristiques combinées qui poussent Pailhoux à ne s'occuper que de ce seul minerai. Cependant, pour l'anecdote, depuis deux siècles (XVII-XVII), les principaux utilisateurs de ce matériau sont des "essayeurs" à la recherche de la Pierre Philosophale...
Père de la chaptalisation des vins, Chaptal (1756-1832) est un personnage important au niveau national. Il développe la chimie industrielle, ce qu'on appelait alors les arts et métiers. Il est ainsi responsable à partir de 1793 de la fabrique de poudre de Paris (usine de salpètre). De 1800 à 1804, il est Ministre de l'Intérieur de Napoléon. Il démissionne quand celui-ci se fait sacré Empereur. Anobli par Louis XVI, il devient plus tard comte de Chanteloup et propriétaire du château du même nom dont il doit se séparer à la fin de sa vie pour résorber les dettes de son fils.
Fin 1782 Dagobert de Fontenille est seul maître de la forge de Padern. Sa carrière militaire passant avant tout, dès 1783, il met en location la forge et l'exploitation des mines de Balansac au fils de Joseph Gaspard, Melchior de Cascastel, conseiller au Conseil Souverain du Roussillon.
A partir de 1787, Dagobert de Fontenille essaye plusieurs fois de vendre la forge, mais en vain. Parmi les éventuels acquéreurs se trouvent, après Marc René Marie de Sahuguet d'Espagnac, abbé commanditaire de l'Abbaye de St Seuvère de Rustan, l'ingénieur Périer et l'héritier du fondateur du Creusot, de Wendel, ou encore, en 1789, la Compagnie d'exploitation des fonderies royales de Dinderet et de Moncenis et de la manufacture des cristaux de la Reine.
Pendant la guerre d'Espagne la forge produit de l'armement, notamment des boulets de canon.
A la mort du Général Dagobert, en 1794, sa veuve, avec son fils Henri, hérite de la forge. Elle loue la forge en 1795 à un Sieur Ferrand et 4 ans après à Jacques Méric.
Pailhoux, dans un mémoire qu'il réalise pour la commission d'économie du District de Lagrasse, s'exprime ainsi en 1800 :
"Le propriétaire de la forge de Padern n'a point de bois. Il achète tout le charbon pour alimenter sa forge à raison de trente à trente deux sols le quintal poids de cent quatre rendu à la forge. ... Tous les charbons qu'on porte a ces trois forges sont faits avec des racines de chêne et d'arbousier la qualité n'est pas des meilleures à raison de la terre qui tient aux racines et qui se mêle avec le charbon. La forge de Padern travaille pendant six mois et consomme sept mille deux cent quintaux de charbon et sept mille deux cent quintaux de mine ... La forge de Padern fait porter les fers qu'elle fabrique à dos de mulet à Villeneuve des Corbières qui se trouve à quatre lieues de distance, on les fait porter de là par charrette, à Narbonne, Béziers, Pezenas et Toulouse ". Dans le même document il parle de la mine de fer de Balansac : "Il y a dans l'arrondissement du ci-devant District de Lagrasse plusieurs mines de fer de bonne qualité et qui fournissent a trois forges. Ces mines sont a Villerouge, Palairac, Lacamp, Cascastel, et Albas. Il y a une mine de fer blanche spathique à Cascastel, cette mine est très riche et donne beaucoup d'acier. Il paroit que tous ces filons marchent du sud au nord. On ne peut pas fixer leur puissance ; ce sont des masses très considérables qui ont fourni dans l'ancien temps une très grande quantité de minerai. Elles pourront encore en fournir très longtemps."
En 1802, la forge s'arrête quatre mois de l'année. Le combustible manque. La houille de Ségure, dès le début, s'est révélée impropre au traitement du minerai, il faut toujours faire appel au charbon de bois.
Le préfet Barante dans son essai sur le département de l'Aude, qui, dit en passant, comporte pas mal d'erreurs, donne l'utilisation suivante de la forge : 96000 livres d'approvisionnement en minerais et 1024000 livres de charbon de bois, 224000 livres de production de Fer. Lieux d'approvisionnement : Villerouge, Cascastel, Albas.
Existe-t-il de nouvelles concessions ou le minerai est-il acheté ? (la concession de Balansac est revenue pour tiers à la famille Pailhoux, qui n'exploite d'ailleurs plus les mines de fer)
La veuve Dagobert ne peut plus faire face à l'imposition : en 1813 trois années sont impayées.
Malgré des demandes de dégrèvement pour inactivité, le tribunal civil de Carcassonne prononce la vente de la forge le 2 octobre 1815. Pierre Yver, gendre du Général Dagobert, membre de la Chambre des Députés l'achète pour 7000 F.
Vers 1850 Rolland Etienne, médecin de Tuchan, essaye de nouveau d'exploiter les mines de fer et réalise le traitement du minerai à la forge : en vain.
Les transports coûteux de minerais et les pénuries de combustible sont les causes principales de ces échecs.
Dans la suite, l'avenir de la forge est liée aux sorts des mines de cuivre de Padern et Montgaillard.
En 1873, la Société anonyme des mines de Padern et Montgaillard fait l'acquisition de la forge aux héritiers Yver pour la somme de 8000 francs.
La Société se lançe dans de nombreux travaux d'aménagement des accès aux mines et dans la forge. Elle transforme aussi le moulin du Torgan à Montgaillard en forge.
Lassés d'investir sans retour, les actionnaires de la Société prononcent sa dissolution le 27 octobre 1881.
En juillet 1885, le liquidateur de la Société vend à Pierre Paulin, vicomte de Maisons, demeurant à Paris, les concessions, les forges et divers terrains pour 18000 francs.
Après plusieurs essais, un procédé électro-chimique de traitement du cuivre avec récupération de l'argent est jugé concluant. Un rapport d'expertise économique assure que la quantité de minerais disponible s'avère suffisance à une exploitation viable.
Une société d'exploitation est montée mais se solde rapidement par un échec. Le vicomte de Maisons vend la forge de Montgaillard et la ferraille (matériel) au prix de la fonte. Il finit par faire une bonne opération financière.
En octobre 1899 il vend la forge et la concession au docteur Chavanette de Tuchan. A partir de ce moment, et pour une courte période, la forge sert à la fabrication d'essences de thym, lavande, romarin.
Quelques années plus tard, Abram, de Saint Paul de Fenouillet fait l'acquisition de la forge et du moulin de Izard situé à 200m en amont. Il crée en aval de la forge une usine de production d'électricité hydraulique qui existe encore aujourd'hui.
